samedi 19 mai 2012

Un film : Arthur Rimbaud. L'homme aux semelles de vent (Marc Rivière)

Arthur Rimbaud. L'homme aux semelles de vent


Film français de Marc RIVIERE (1995)


Lorsque j'habitais en Suisse, j'ai entendu parler d'un film sur Rimbaud après l'écriture, mais je n'ai jamais eu l'occasion de le voir. J’ai finalement acheté le DVD il y a six jours et attendais le moment idéal pour cette rencontre. Ce fut hier.

Révélation
Laurent Malet EST Arthur Rimbaud. Cette équation m’a frappée dès le début comme une évidence. Je voyais Rimbaud, il était là dans mon salon et j’avais la gorge nouée : sa moue dédaigneuse, ses yeux de feu, son empressement à aller de l’avant, sa course infatigable dans et vers le désert. Que cherchait-il ? Que fuyait-il, comme le lui demande le négociant Barney pour qui Rimbaud travaille un temps ? Rimbaud ne répond pas et quitte la pièce à grandes enjambées. C’est un Rimbaud muet, lassé des mots, comme revenu de leurs sortilèges. Et pourtant. Quels regrets, quels espoirs, quelles peurs cache-t-il derrière ce silence, derrière cette rage de ne surtout rien dire ?

Heurts
Rimbaud n’aime pas les chiens. Pire, il les hait et les massacre. Scène dure et incompréhensible car Rimbaud ne parle pas : il hurle, clame son dégoût de ces bêtes qu’il assimile à des charognes.
Rimbaud est agressif. Il frappe, se bat avec une violence animale. Il est aussi méprisant. Quand la femme de Barney lui tend un exemplaire d’Une saison en enfer que lui a donné Bourde, un ancien camarade de collège, il le jette par terre. Choquée, en colère, elle lâche : « Si monsieur Bourde vous voyait aujourd’hui, il réaliserait sa méprise. Vous n’êtes pas le jeune homme qu’il avait connu autrefois. Après tout, Rimbaud est un nom très répandu. Le garçon dont il m’avait parlé était un être sensible, qui savait écrire des vers. Vous n’avez rien à voir avec lui. » Les lèvres de Rimbaud tremblent mais il se détourne vite et continue sa route. Il a déjà oublié. Il est dans son obsession du moment : aller à Boubassa.
Rimbaud se ment à lui-même. Refusant de façon catégorique toute allusion à sa vie de poète, à la vue du cadavre de l’explorateur Lucereau, il hurle pourtant dans le désert « Pourquoi tout cet enfer ? », exprimant sa fureur en jetant des pierres, et blessant cette terre qu’il aime tant.
Rimbaud est obsédé par l’idée de faire fortune. Il compte et recompte l’argent qu’il a investi puis perdu. Il pinaille et marchande, à la limite du pathétique.
Est-ce que tout cela me choque ? Non. Depuis le début du film, je le suis. Je ne cherche pas à le comprendre, encore moins à le justifier. Je le suis, c’est tout. Je vis une expérience unique, mieux, un miracle : Rimbaud me laisse pénétrer dans son intimité, dans ce désarroi que je comprends sans pouvoir l’expliquer. Je me fais toute petite, j’ai trop peur qu’il me voie et me dise de partir, d’arrêter de le regarder. Rimbaud est somme toute extrêmement pudique.

Mais où sont les neiges d’antan ?
Le poète a disparu. J’ai même le sentiment qu’il le hait. Ont disparu aussi le blé qui le picotait, l’aube d’été qu’il embrassait, les lyres de ses souliers, le prisme des voyelles, les fleurs blanches qui frissonnaient, les haillons d’argent. Ils ne sont plus là, Rimbaud les a reniés. Il en avait le droit, il les avait créés.
Est-ce que je le regrette ? Est-ce que je lui en veux ? Non. J’aimais le poète. Tout au long du film, j’apprends aussi à aimer cet homme hagard, fuyant ce qu’il rêvait d’être. Ou pas. Cet homme épris de liberté s’est peut-être trompé sur ce qu’il cherchait, voire sur le sens même du mot « liberté ». Mais qui suis-je pour le juger ? Sait-on vraiment ce qu’est la liberté ?

Sanglots
Oh les larmes de Rimbaud agonisant, pleurant « Je veux retourner là-bas ! ». Je donnerais tout pour lui offrir cet ultime mirage. Qu’importe ce qu’il cherchait au fond « là-bas », qu’importe ce qu’il fuyait « ici ». Ce qui compte finalement, ce sont les larmes de Rimbaud parce que ce sont aussi les miennes.
Tout à coup, je me souviens de la remarque d’une étudiante alors que nous étudiions le Dom Juan de Molière. Je demandais à la classe ce que signifiait pour eux la mort de Dom Juan ; cette étudiante m’a répondu : « La mort de Dom Juan, c’est la mort de notre liberté » ; je fus envahie par une immense tristesse. C’était vrai, comme ce sentiment maintenant que les larmes de Rimbaud, ce sont les miennes, et donc les vôtres.
Que pleurons-nous ? Peut-être tout simplement le fait de ne pas être la matière de nos propres rêves.

« L’Eternité / C’est la mer mêlée / Au soleil », écrivait-il. Je me dis qu’il l’a enfin retrouvée. Une vague de bonheur me submerge, comme un sentiment de justice.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire