vendredi 27 avril 2012

Un film : Shower (Zhang Yang)

Shower
(洗澡)


Film chinois de ZHANG Yang (1999)

 
Ce film raconte les relations existant entre un père, Maître Liu, et ses deux fils : Da Ming, l’aîné, est parti en quête de reconnaissance sociale qu’il a d'ailleurs obtenue ; Er Ming, le cadet, simple d’esprit, est resté auprès de son père. Ce dernier tient l’un des derniers établissements de bains publics traditionnels de Pékin. Un jour, Er Ming envoie à son frère un dessin : Da Ming croit comprendre que son père est malade et rentre à Pékin.
Très vite, il se sent comme un intrus. En effet, le couple formé par le père et son fils cadet est tout en connivence et complicité. Même si Er Ming ne peut cacher sa joie de retrouver son frère aîné, le père semble mécontent de l’arrivée soudaine de ce fils qui l’a renié. Da Ming se contente alors d’être le spectateur d’une relation filiale qu’il n’a pas su valoriser. Toutefois, sa douleur est rentrée et ne se traduit que dans les regards qu’il pose sur son frère et son père bien sûr, mais aussi sur les clients du bain qui, il le comprend vite, forment avec les siens une famille chaleureuse et solidaire. Da Ming traverse ainsi le film en solitaire, solitude qui culmine quand, à la mort du père, il annonce à sa femme que son frère est simple d’esprit et qu’il va devoir le prendre chez lui : elle lui raccroche au nez.
C’est justement ce frère qui va le réconcilier avec lui-même. Certes, le simple d’esprit à l’intelligence émotionnelle plus élevée que les autres est un thème classique, mais ce n’est pas uniquement cela. Er Ming est l’héritier de son père, au sens le plus littéral du terme : il a hérité de lui sa chaleur humaine, son sens mais aussi son goût de la communication, sa joie de vivre aussi, ainsi qu’une forme de simplicité qui rend ridicule toute ambition autre que celle de vouloir être « quelqu’un de bien ». C’est cet héritage que révèlent en contrepoint toutes les scènes avec les clients du bain, empreintes d’une telle tendresse et d’une telle délicatesse qu’elles vont finalement réveiller chez Da Ming la nostalgie d’une enfance et d’une adolescence dont on devine qu’il ne les a pas estimées à leur juste valeur.
On pourrait dire que Shower est un film initiatique, mais à rebours, une revalorisation des origines en quelque sorte. Il est par conséquent aussi une dénonciation de la modernité posée en dogme, vide de sens et d’affect, inhumaine enfin. Pendant tout le film, on a ainsi l’impression que le bain mais aussi tout le quartier sont autant de havres dans « cet enfer moderne » : ils sont pourtant voués à la démolition…
Fable poétique, peut-être nostalgique d’une Chine des traditions millénaires, Shower est pourtant un film résistant car empli d’espoir : O sole mio !
ZHANG Yang

dimanche 8 avril 2012

Un livre : Les dernières volontés de sir Hawkins (Jesus del Campo)

Jesús del CAMPO
(né en 1956)

 

Les dernières volontés de sir Hawkins
(Las últimas voluntades del caballero Hawkins)


Sir Hawkins, homme qu’on devine dans la force de l’âge, s’est retiré dans une auberge au bord de la mer, quelque part en Angleterre. Il y vit avec sa gouvernante et cuisinière Mrs. Collins. Nous sommes à la fin du XVIIIe siècle et « la silhouette torve du Corse dont tout le monde parle » s’apprête à assombrir le paysage temporel. Cela n’empêche pas notre sir de s’intéresser à ce « savoir nouveau en ébullition en France, susceptible de transformer radicalement les pensées de tous les hommes ». C’est ainsi qu’il décide que son premier hôte sera français : Louis-Guillaume Brossac, rencontré à Oxford, fait donc son entrée dans l’auberge et accepte de donner des cours de français à notre narrateur. Il l’aide, entre autres, à « pénétrer les mystères du subjonctif, cette rareté dont la langue anglaise a su admirablement se passer ».
Vont donc se croiser dans cette auberge différents hôtes qui ont tous un point en commun : ils racontent des histoires, la leur ou celle de personnes qu’ils ont eu l’occasion de rencontrer. A tel point que, au fil du temps, l’auberge va acquérir une réputation de « nid de conspirateurs au service de l’imagination ». Avec ces récits (qui respectent notre bonne vieille tradition orale mais qui font aussi écho à ce nouveau conte philosophique auquel notre Voltaire bien aimé est en train de donner ses lettres de noblesse), sir Hawkins comprend que la conversation est un élément fondamental de cette modernité qui se met en place, qu’elle est l’axe crucial par lequel les hommes peuvent échanger leurs expériences et leurs points de vue, et par lequel par conséquent, la tolérance et l’ouverture d’esprit peuvent éclore.
Dans la première partie, l’exemple le plus parlant - si je puis me permettre - en est peut-être le récit de l’Ecossais Alasdair McLairg, conté à ces Anglais contre lesquels il a lutté et qu’il considère encore un peu comme des êtres maléfiques pour sa chère terre. C’est qu’il a ses raisons McLairg. Ne raconte-t-il pas comment l’un de ses ancêtres est mort foudroyé sur place parce qu’il avait assisté à un toast qui souhaitait longue vie au roi du pays honni ? Il a alors bien raison de s’abstenir quand ses compagnons décident de faire une fête pour l’anniversaire du roi Georges : au moment du toast, il monte dans sa chambre ; tous ses compagnons approuvent cette sage décision.
La deuxième partie est placée sous le signe de l’amour et le lien avec le fil narratif est le temps, ce temps qui dévore les sentiments en éloignant les uns des autres ceux qui s’aiment. Mais source du mal, le temps en est aussi le remède : « Et la vie suivit son cours, sans la moindre intention de m’attendre », affirme le narrateur. Sir Hawkins se console de la perte de ce qu’il considère comme son grand amour dans l’ivresse de « petites amourettes » jusqu’à commettre plusieurs impairs qui lui font comprendre qu’il a encore beaucoup à apprendre de ce sentiment qui le ronge. Mais le temps n’est pas le seul remède au mal d’amour, il y a aussi le voyage, comme celui qu’entreprend une jeune aristocrate bourguignonne dont le fiancé a été tué lors d’une révolte d’esclaves en Martinique. Il arrive toutefois un moment où Béatrice-Charlotte Beaumont de Faubourg comprend que pleurer un être mort, aussi cher fut-il, n’est rien au regard d’aimer les vivants. Elle fait part de ses réflexions à son hôte… La boucle est bouclée et l’amour devient une des formes d’apprentissage de la vie, tout comme la lecture, tout comme ces récits que les hôtes continuent de se raconter pour essayer de comprendre le monde qui les entoure, ce monde en mue de la fin du XVIIIe siècle.
L’amour reste présent dans la troisième partie puisque, n’est-ce pas, apprendre à vivre est aussi important que d’apprendre à aimer. Toutefois, dans cette dernière partie, domine un sentiment de vide, ou plutôt une certaine forme de détachement. Tout d’abord, l’auberge va peu à peu se vider de ses hôtes. En fait, dans cette dernière partie de ses mémoires, sir Hawkins saisit lentement le but caché de ces histoires racontées et ajoutées ainsi au patrimoine commun de l’humanité (Lecteur, n’oublie pas que, grâce à ces mémoires, ces histoires traversent le temps pour arriver jusqu’à toi). Elles participent de la transmission d’une « formule secrète », et procurent à sir Hawkins (et donc à toi aussi, Lecteur) « la sensation que le mystère est une science déchiffrable ». Mais pour comprendre en quoi réside cette formule, il faut lire le livre.
La prose de sir Hawkins est tout en clair-obscur. Elle fouille les mots et les phrases comme les histoires racontées fouillent l’âme humaine. C’est aussi une prose contemplative et picturale qui laisse une immense place au rêve : « Ici, l’activité primordiale est simplement d’être, comme si la contemplation de ce qui nous entoure était une activité en soi, et plus intense que les autres. Comme si le paysage qui nous entoure avait besoin de nous pour être complet, et nous de lui ». C'est tout le mérite de l'auteur d'avoir su faire revivre cette prose dix-huitiémiste dont l'ironie (ici teintée d'humour anglais, donc double puisque c'est un Espagnol qui écrit) n'est pas le moindre attrait.
Quant à ces aventures que sir Hawkins a vécues dans son adolescence et qu'il affirme à plusieurs reprises vouloir oublier (comme c’est étrange, cela rappelle un certain village de la Manche qui provoqua en son temps un identique désir d’amnésie ; curieuse chose décidément que le souvenir), faites appel à vos réminiscences de lectures d’enfant.

Traduit de l’espagnol (Espagne) par Marianne Million, José Corti, 2005, 225 pages