samedi 31 mars 2012

Un livre : Rêves de garçons (Laura Kasischke)

Laura KASISCHKE
(Née en 1961)

 

Rêves de garçons
(Boy Heaven)

Kristy Sweetland - vous comprendrez au cours de la lecture combien son nom de famille est ironique - a dix-sept ans à la fin des années 1970. Comme tous les étés, elle part avec sa meilleure amie Désirée au camp des pom pom girls de Blanc Cœur. Là, elles se lient d’amitié avec Kristi, une compagne de chambrée. Un jour, les trois adolescentes décident de faire un tour dans la Mustang de Kristy. Dans une station service, elles croisent deux jeunes adolescents qui les suivent dans leur break. Ce qui se passe ensuite ne sera révélé qu’à la fin du livre. Entre temps, vous aurez lu les 237 pages des quinze premiers chapitres dans l’attente de ce « quelque chose d’atroce » annoncé par Kristi vers le premier tiers du livre. Quant aux seizième et dix-septième chapitres, ils révéleront ce que Kristy Sweetland est devenue, et vous serez alors peut-être saisis par un sentiment d’horreur. C’est tout ce que je peux vous dire.

En lisant la confession de Kristy Sweetland - car il s’agit bien de cela -, le lecteur replonge dans son adolescence. Ou plutôt, celle-ci remonte à la surface, avec ses peurs et ses angoisses, son inconscience et son insouciance, mais surtout avec sa cruauté. En lisant le roman de Kasischke, j’ai été moi-même étonnée de me rappeler si nettement certains éléments de ma propre adolescence. Je croyais l’avoir oubliée. Je croyais que, devenue femme, j’avais laissé pour toujours derrière moi cette espèce de chrysalide fragile qu’avait été cette période. Mais non. C’est l’un des grands mérites de ce roman que de nous la rappeler. De nous rappeler que ce que nous sommes devenus s’est forgé pendant cette période trouble au cours de laquelle notre personnalité tâtonne. Ce qui sort de la chrysalide n’est pas forcément ce à quoi on s’attendait ; il arrive parfois que nous découvrions que nous ne sommes pas ce que nous pensions être. Ainsi, Kristy Sweetland.

Par ailleurs, les émois de l’adolescence féminine sont nettement pointés, admirablement mis en phrases courtes qui font mouche à chaque fois. J’admire ce talent de l’écrivaine, capable en se concentrant sur un personnage, de toucher à l’universel, féminin en tout cas.

Sur la mort : « Je pensais que contrairement au reste du monde, je ne mourrais jamais. »
Sur le défi : « Malgré les avertissements de ma mère, il m’arrivait de jeter un coup d’œil au soleil (…), une source d’énergie bouillante et incommensurable dans le ciel, que je mourais d’envie de voir. » Chers lecteurs de cette chronique, pensez à La Rochefoucauld et à son « Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement. »
Sur la relation aux autres : « Je souriais spontanément depuis mes six ans. »
Sur la quête de soi-même : « Je n’arrivais pas à me débarrasser de l’impression qu’un autre moi se trouvait là-bas (…), un moi que je ne pouvais pas contrôler, un moi qui ne savait même pas que j’existais. »
Sur les garçons : « Ils ne sont pas comme on se les est imaginés. »
Sur la vie : « Si j’avais été au lycée de Forest Hills ou si mon père n’était pas mort, ou si ma mère n’avait pas épousé mon beau-père, ou si je n’étais jamais née, ou si j’étais morte avant que Désirée et moi nous soyons rencontrées… »
Sur la blessure : « Le ton sur lequel [Désirée] prononça le mot "débile" me fit l’effet d’une gifle, mais indolore, comme si elle voulait le dire depuis longtemps, qu’elle le pensait, peut-être depuis des années. »

Ce roman est un voyage dans le temps, mais un temps qui ressemble au purgatoire - du moins tel que je l’imagine -, un espace temporel où rien n’est sûr, où tout peut arriver, où le miroir des certitudes peut se briser. Si c’est le cas, il faudra faire avec et recoller les morceaux. Sans cela, il est possible que le regret et le remords nous poursuivent à tout jamais…


Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Céline Leroy, Christian Bourgois, 2007, 246 pages

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