samedi 4 février 2017

Ernest Lavisse et le récit national

Ernest LAVISSE
(1842-1922)
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Être laïc

Le samedi 28 janvier, Jean-Noël Jeanneney a consacré son émission Concordance des temps (France Culture) à la figure d'Ernest Lavisse, historien et auteur de manuels d'histoire. Son invité, l'historien Olivier Loubes, l'accompagnait pour réfléchir à la question de notre imaginaire de la nation au moment où un candidat à la Présidence de la République déclare "vouloir s'entourer des meilleurs avis pour réécrire les programmes d'histoire avec l'idée de la concevoir comme un récit national". 

Au cours de cet entretien, l'animateur a offert au public la lecture d'un texte de Lavisse, publié en 1902 dans les Annales de la jeunesse laïque. On réduit souvent la laïcité à sa définition officielle, à savoir "A. Principe de séparation dans l’État de la société civile et de la société religieuse" et "B. Caractère des institutions publiques ou privées qui, selon ce principe, sont indépendantes du clergé et des Églises ; impartialité, neutralité de l’État à l'égard des Églises et de toute confession religieuse." (Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales)

Ce texte de Lavisse m'a interpellée. Tout d'abord, il ne fait aucunement mention de la neutralité de l’État alors qu'il publie ce texte trois ans avant la loi de séparation de l’Église et de l’État (1905). Ensuite, la rhétorique retenue est intéressante du point de vue pédagogique : l'historien et pédagogue définit l'attitude laïque en opposant ce qu'elle est à ce qu'elle n'est pas. En commençant toujours par la définition négative, il construit une argumentation ouverte vers le devenir, transformant la laïcité en principe d'espoir. Enfin la beauté stylistique le rend d'autant plus poignant qu'il le convertit en credo républicain : beau tour de force. 

Être laïc
Être laïc, ce n'est pas limiter à l'horizon visible la pensée humaine, ni interdire à l'homme le rêve et la perpétuelle recherche de Dieu ; c'est revendiquer pour la vie présente l'effort du devoir. Ce n'est pas vouloir violenter, mépriser les consciences détenues dans le charme de vieilles croyances ; c'est refuser aux religions qui passent le droit de gouverner l'humanité qui dure. Ce n'est point haïr telle ou telle église ou toutes les églises ensemble ; c'est combattre l'esprit de haine qui souffle des religions et qui fut la cause de tant de violence, de tueries et de ruines.
Être laïc, c'est ne point consentir la soumission de la raison au dogme immuable, ni l'abdication de l'esprit humain devant l'incompréhensible ; c'est ne prendre son parti d'aucune ignorance ; c'est croire que la vie vaut la peine d'être vécue, aimer cette vie, refuser la définition de la "terre vallée de larmes" ; ne pas admettre que les larmes soient nécessaires et bienfaisantes, ni que la souffrance soit providentielle ; c'est ne prendre son parti d'aucune misère.
Être laïc, c'est avoir trois vertus. La charité, c'est-à-dire l'amour des hommes ; l'espérance, c'est-à-dire le sentiment bienfaisant qu'un jour viendra, dans la postérité lointaine, où se réaliseront les rêves de justice, de paix et de bonheur que faisaient en regardant le ciel les lointains ancêtres ; la foi, c'est-à-dire la volonté de croire à la victorieuse réalité de l'effort perpétuel.

Il convient de compléter avec le commentaire d'Olivier Loubes. Auparavant, l'historien avait précisé : "Ce n'est pas le baptême de Clovis qui fait la France, pour Lavisse, c'est très clair. Ce qui fait la France nationale, ce qui fait la nation, ce qui la constitue, c'est la Révolution française, incontestablement."

Après l'écoute du texte d'Ernest Lavisse qu'il entendait pour la première fois, Olivier Loubes ajoute : "Cette définition sonne moderne dans un véhicule qui est ancien et hérité. [Lavisse y présente] les trois vertus théologales de la laïcité qui seraient l'humanité, la justice et la volonté. La foi parce que, quand on a la foi, on est porteur d'un volontarisme. L'espérance, c'est l'espérance en la justice. La charité, dont il fait une traduction humaniste car c'est ce qui doit permettre à l'humanité d'être meilleure. On a à la fois un véhicule ancien, hérité, religieux presque, porteur d'idées dans lesquelles tous peuvent se reconnaître à condition d'être des humanistes de progrès. Son texte est axé sur une autre dimension de la laïcité qui est l'émancipation humaniste, un humanisme dans lequel on a la réconciliation de la charité chrétienne et de l'humanisme laïc ; la réconciliation aussi de l'espérance religieuse, traduite ici par la justice ; et la réconciliation de la foi, comme étant une volonté extrêmement politique. Il répudie l'idée si chrétienne qu'il faille souffrir et que cette souffrance soit positive. Il dit Non, nous avons à vivre la Jérusalem céleste ici et maintenant. "




1 commentaire:

  1. Merci d'avoir publié ce texte d'Ernest Lavisse dur la laïcité qui permet d'alimenter ma réflexion.

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