vendredi 7 septembre 2018

LaRose, de Louise Erdrich

Louise ERDRICH
(Née en 1954)


LaRose
(LaRose)


A la fin de l’été 1999, Landreaux part à la chasse. Il y a trois mois, il a repéré un cerf et là, il suit sa piste. A l’orée de la forêt, près du champ de maïs de son voisin et meilleur ami Peter Ravich, il le voit soudain : grand, la tête bien droite. Il vise. Tire. Le cerf ne tombe pas et s’enfuit, indemne. Landreaux vient de tuer le fils de Peter.

Après l’enquête policière qui conclut à un accident, Landreaux est libéré. Une fois chez lui, il parle avec sa femme Emmaline. Tous deux, la mort dans l’âme, recourent à une vieille forme de justice indienne. Ils vont donner LaRose, leur dernier fils - et meilleur ami de Dusty, l’enfant mort - aux Ravich. Mais LaRose est le descendant d’une longue lignée d’Indiens visionnaires, et la force de son esprit va permettre aux deux familles meurtries de retrouver la paix.

On retrouve dans LaRose les thèmes chers à Louise Erdrich.

Les passions humaines, et plus précisément le désir de vengeance. Il est triple. D’abord, celui de Peter et Nola Ravich, rentré pour le premier, suicidaire pour la seconde. Ensuite, celui de Romeo, ami d’enfance de Landreaux, estropié suite à un accident dont Landreaux est indirectement responsable. Enfin, celui de Maggie, fille aînée des Ravich, agressée sexuellement par des garçons du lycée.
Cette thématique de la vengeance, récurrente dans l’œuvre d’Erdrich, est-elle la transcription littéraire de l’injustice dont a été victime le peuple indien : tentatives réitérées d’acculturation, enfermement dans les réserves, vol des terres, mépris social ? Est-elle le moteur de leur résistance ; par conséquent l’origine de leur survie ? Quoi qu’il en soit, Erdrich la manie avec précision mais parcimonie, toujours avec délicatesse, comme une épreuve à surmonter, un défi à relever.

La transmission. Parallèlement aux événements qui couvrent la période 1999-2003, Erdrich nous raconte l’histoire de la première LaRose, l’Indienne qui parlait aux esprits et a transmis ses pouvoirs à ses descendants. Contrairement à certains critiques littéraires qui utilisent l’appellation facile car fourre-tout de « réalisme magique », je préfère celui de « visions », à savoir la capacité à aller au-delà des limites de l’esprit humain. Ces visions s’apparentent souvent aux hallucinations d’un drogué, et il est vrai qu’Erdrich laisse toujours planer le doute. Je crois toutefois, comme elle, que certains êtres sont capables d’associer les différentes strates qui composent notre univers ; ce sont des êtres qui possèdent une immense aptitude à l’empathie. C’est le cas de LaRose, qui a cinq ans au début du récit, neuf ans à la fin.

La solidarité. Autour de LaRose gravitent plusieurs personnages. Ses parents biologiques bien sûr (Landreaux et Emmaline), ses parents « adoptifs » (Peter et Nola Ravich), ses frère et sœurs biologiques (Coochy, Neige et Josette), son presque frère (Hollis, fils de Romeo que Landreaux et Emmaline ont accepté d’élever quand Romeo a sombré dans la drogue et l’alcool), sa sœur « adoptive » (Maggie)... et Dusty, l’enfant assassiné avec lequel LaRose reste en contact. Mais aussi la mère d'Emmaline et le père Travis, ancien Marine devenu prêtre : toute une communauté d’individus dont le point commun, du côté indien, est la transmission de leur héritage culturel et moral.

L’association des tons tragique et humoristique. Le point de départ du roman est on ne peut plus tragique. Toutefois, Erdrich ne s’y enferme pas. Elle va au-delà et oui, on peut parler de rédemption. L’humour est-il un des chemins qui y conduit ? Pourquoi pas. C’est ainsi que Neige et Josette compensent la "perte" de leur frère par un amour de la langue qui les pousse à utiliser un langage recherché mais extrêmement précis ; ainsi qu’à une certaine distance ironique vis-à-vis, pas du mal, mais de ce qui fait mal : « Les filles ouvrirent les bras pour s’embrasser. Une bise, une bise, une sur chaque joue, comme si on était de la mafia. » (p. 186) Quant à Maggie, l’adolescente révoltée, après son agression sexuelle, « elle s’avança vers la porte, l’ouvrit. La rage tourbillonnait autour d’elle comme un hula hoop enflammé » (p. 192)

La leçon principale de ce roman, comme de tous ceux d’Erdrich que j’ai lus, est l’espoir, indestructible, toujours présent. Une vraie littéraire donc, dans le sens où elle croit avant tout en l’humain, dans la capacité de l’homme à remonter à la surface, à pardonner, à puiser la force de continuer de faire confiance à la vie.

LaRose, Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Isabelle Reinbarez, Albin Michel, 2016, 515 pages