Alain LE NINÈZE
(né en 1948)
La Controverse de
Bethléem
J’ai
lu ce livre d’une traite, en 24 heures, et il m’a inspiré moult réflexions,
annotées au fil de la lecture : une première si on considère la quantité !
Les voici.
Après la lecture des deux premières lettres de chacun des épistoliers
(saint Jérôme et Rufin d’Aquilée)
Deux
personnages assez doubles. Ça promet !
« Dieu n’est pas un marchand. » (Rufin)
Ça
reste à prouver ! Il suffit de lire attentivement l’Ancien Testament.
Lettre de Jérôme parlant de la décision de Paula d’abandonner
ses enfants pour se consacrer à Dieu.
Je
pense que c’est faire part d’un monstrueux égoïsme que de sacrifier ses
enfants, fût-ce à Dieu. Mais c’est là tout le problème du judaïsme (Isaac) et
du christianisme (Jésus) qui fondent leur foi sur la justification du sacrifice
du fils par le père. Cela me rappelle la réponse de mon père à ma question (consécutive
au film Iphigénie de Cacoyannis) sur
la justification du sacrifice de l’enfant par le père : « Ma petite
fille, rien ni personne ne justifie jamais qu’on lui sacrifie son enfant. »
« L’Ecriture nous enseigne qu’il y a d’un côté les justes,
ceux qui suivent la voie du Seigneur, et de l’autre ceux qui n’entendent pas sa
Parole. S’ils ne l’entendent pas, c’est qu’ils ne veulent pas l’entendre. »
(Jérôme)
Ben
voyons. Je partage plutôt l’opinion de Rufin car on sait combien le refus, la
haine et l’intolérance naissent trop souvent de l’idée absurde d’une quelconque
supériorité, mais aussi de la peur qui est une forme d’ignorance. Ce passage de
Jérôme justifie l’intolérance et le mépris.
« Jésus lui-même l’a dit : « Celui qui n’est pas
avec moi est contre moi. » (Jérôme)
Je
doute sincèrement qu’un être aussi généreux ait pu proférer une pareille
sentence qui est celle de tout dictateur qui se respecte.
« Je suis peut-être platonicien mais toi, Jérôme, tu es
manichéen ! Tu opposes le bien et le mal, les justes et les mauvais dont
tu affirmes, sans nuance, qu’ils seront damnés. Vues ainsi, les choses ont le
mérite d’être simples. Mais ce qui est trop simple, en général, n’est pas vrai.
(Rufin)
Décidément,
ce Rufin m’est fort sympathique !
« Mais trêve de plaisanterie ! Ta lecture de Jean m’a
intéressé, je dirais même qu’elle m’a éclairé sur le sens profond de cette
notion d’hamartia que j’ai exprimée,
un peu vite en effet, sous le nom de "péché". » (Jérôme)
Quand
Jérôme s’adoucit, il retrouve ses facultés intellectuelles ; et sa pensée
redevient envisageable. Comme quoi la colère – mais aussi l’orgueil – sont vraiment
de mauvais conseillers. Ils rendent stupide le plus intelligent.
« J’ai d’ailleurs, à ce sujet, une requête à te faire.
(Jérôme)
Tiens
tiens ! Le radoucissement serait-il intéressé ?
« Jamais les Goths n’oseront attaquer [Rome] ! Il n’y
a aucune raison d’avoir peur. » (Jérôme)
Jérôme
pratique l’hamartia, historique cette
fois ! Rufin est beaucoup moins aveuglé par des certitudes trop
simplissimes qu’il a d’ailleurs condamnées (voir plus haut). Cela lui permet d’apprécier
la situation avec lucidité.
« A ce propos, j’espère que tu as pensé au témoignage que
je t’ai demandé. » (Jérôme)
Mon
Dieu, qu’il est lourd !
« Voilà, Rufin, le triste état où je suis en ce moment. Je n’ai
pas le cœur, tu le comprendras, à tourner des formules de politesse. (Jérôme)
Plutôt
complaisant avec lui-même.
« Il s’agit de ce mot de diabolos que tu choisis de traduire – ou plutôt de ne pas traduire
puisque tu conserves ce mot en lui donnant une graphie latine. » (Rufin)
Intéressant.
« Le diabolos,
sous ses multiples facettes, se reconnaît fondamentalement à ceci : il est
une force qui s’oppose à la vie. C’est ce que dit Paul en II, 14 de son Epître
aux Hébreux (…) : "celui qui a le pouvoir de la mort, c’est-à-dire le
diviseur." » (Rufin)
Passionnant.
Le diabolos est donc celui qui a
privé l’être humain de son immortalité. Il l’a "divisé" en être de
vie / être de mort, capable de les recevoir, mais aussi et surtout de les
donner. Cela me fait penser au roman de Gioconda Belli[1]
qui rappelle que, dans le jardin d’Eden, il n’a jamais été question qu’Adam et
Eve donnent la vie. C’est en désobéissant qu’ils ont été condamnés à donner la
vie, et donc la mort.
A propos des mortifications corporelles. (Jérôme)
J’ai
toujours éprouvé du dégoût pour ces mortifications. En tout cas, elles ne
soulèvent en moi aucune admiration. Je n’ai en effet jamais vu qu’en faisant
souffrir son corps, on ait un cœur pus généreux. Jean de la Croix réprouvaient
ces pratiques et n’y voyaient aucune manifestation de sainteté. Je crois, moi,
que la dignité du corps est égale à la dignité de l’esprit. Priver son corps de
ce dont il a besoin, c’est comme priver son esprit de connaissances, à savoir contre-nature
et absurde.
A propos de l’attitude de l’anachorète Macaire d’Alexandrie qu’il
« fallait insulter pour qu’il accepte de vous répondre. » (Rufin)
N’importe
quoi ! L’humilité excessive est comme la satisfaction de soi excessive :
complètement ridicule.
A propos de l’épreuve d’Arsène (se faire traiter comme un chien) :
« Elle lui a appris l’humilité » (Rufin)
Sans
blague !
« L’hubris reste
un défaut majeur. Et il y a de l’hubris,
il y a de la démesure dans cette façon qu’ont les anachorètes de vivre leur
foi. En tant que chrétien, je ne puis que les admirer. Mais ma raison m’empêche
de les approuver. Elle me dit que Jésus n’a pas prôné une telle mortification
du corps et que, d’ailleurs, il n’en a pas donné l’exemple dans sa vie. (…)
Jésus ne fut pas un ascète. Il s’habillait comme tout le monde, mangeait et
buvait normalement. Il pratiquait parfois le jeûne, mais sans excès. »
(Rufin)
100%
d’accord.
« Métanoein, je
le redis, signifie : "changer d’avis". Changer d’avis pour
changer de vie. Et c’est cela seul qui compte : la Parole du Christ est
tournée non vers le passé mais vers l’avenir de l’homme, vers un salut qu’il
gagnera par sa "conversion" : telle est, sans doute, la
meilleure traduction possible du mot métanoia.
Cette Parole n’incite pas au ressassement morbide des fautes que l’on a pu
commettre. »
Oh
oui ! J’aime la modernité et l’indépendance d’esprit de Rufin.
Toujours à propos des anachorètes : « Leur esprit et
leur cœur sont vierges, totalement disponibles pour une foi qui les emmène plus
loin que nous, à l’image de ces "pauvres en esprit" auxquels Jésus a
promis le royaume des cieux. » (Jérôme)
Quelle
générosité intellectuelle ! Mais on en revient au même ; et Jérôme en
convient, il s’agit bien d’ignorance, de celle qui convertit l’être humain en
animal.
« Acepsime s’est muré dans une hutte de terre pour se
priver de lumière. » (Jérôme)
Qu’y
a-t-il d’admirable ? Surtout quand on pense au supplice infligé à la
famille du général Oufkir. Si Dieu a créé la lumière, ce n’est pas pour qu’on s’en
prive volontairement. Et que diraient les aveugles ?
« Pour changer de vie, il faut payer de soi. »
(Jérôme)
Jésus
ne l’a pourtant pas exigé du Bon Larron.
« Dieu est bien au-dessus d’un tel marchandage. »
(Rufin)
Rufin
tient vraiment à son idée d’un Dieu qui ne serait pas corrompu. Oui, si son
royaume s’appelle Utopia.
Première réaction de Jérôme au témoignage qu’il a demandé à
Rufin.
Ce
qu’il ressort : Jérôme n’a pas une âme de poète, en ce sens qu’il ne sait
pas lire entre les lignes. Rufin, si.
Deuxième réaction de Jérôme au témoignage qu’il a demandé à
Rufin.
La
boucle est bouclée. Jérôme est profondément égocentrique… et enfant gâté. Il
devient dangereux quand il n’obtient pas ce qu’il veut.
Actes
Sud, 2009, 112 pages
[1]
El
infinito en la palma de la mano
(2008), L’Infini dans la paume de la main,
traduit de l’espagnol (Nicaragua) par Anne Plantagenêt, Jacqueline Chambon, 2009.
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