samedi 3 mai 2014

Un roman : Dents de lait (Ignacio Martínez de Pisón)


Ignacio MARTÍNEZ de PISÓN
(né en 1960)


Dents de lait
(Dientes de leche)


Martínez de Pisón, comme d’autres auteurs espagnols tels que Rafael Chirbes ou encore Álvaro Pombo, utilise la thématique familiale pour explorer l’Histoire à travers une histoire. Bien pratique en effet le principe des générations pour remonter le temps et comprendre comment l’Histoire s’incruste dans le quotidien et influence irrémédiablement les relations entre les êtres ; pour comprendre comment, en une cinquantaine d’années, on passe d’un grand-père italien fasciste et fier de l’être à un petit-fils espagnol – tiens-donc, c’est lui le narrateur – que son grand-père oblige à revêtir l’uniforme des Brigades italiennes pour assister chaque année à la commémoration en hommage aux volontaires italiens morts pour une Espagne « Une, Grande et Libre » !

Mais, sous sa facture classique, ce roman est riche en défis. Tout d’abord, celui de parler de l’Histoire tout en s’arrangeant pour qu’elle ne forme finalement que l’arrière-plan. Ensuite, raconter l’histoire d’un homme fort peu sympathique car manipulateur et sans doute lâche, et s’arranger pour que le lecteur lui trouve des circonstances atténuantes. Enfin, celui de parier sur la tendresse de l’écriture pour dire les choses telles qu’elles sont : horribles, tragiques, inhumaines.

Il n’y a pas d’effet de style. Le récit avance, comme le temps. Et c’est pour cela que ce roman est bon parce qu’il renonce à l’esbroufe, qu’il mise sur la simplicité qui est une forme de modestie, et que les personnages dont il dresse le portrait, bien qu’en soi d’une grande banalité (combien de familles espagnoles – pour ne citer qu’elles – n’ont pas leurs petits secrets ?) sont vrais parce qu’ils sont plus invraisemblables que la vie elle-même. Comme si Martínez de Pisón renversait la formule stendhalienne : le miroir qu’il utilise est un miroir déformant car, lorsque les secrets sont révélés, le choc même de la révélation les fait paraître beaucoup plus monstrueux.


Traduit de l’espagnol par Gabriel Iaculli, Le Serpent à plumes, 2010, 416 pages.

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