Ignacio MARTÍNEZ de PISÓN
(né en 1960)
Dents de lait
(Dientes de leche)
Martínez
de Pisón, comme d’autres auteurs espagnols tels que Rafael Chirbes ou encore Álvaro
Pombo, utilise la thématique familiale pour explorer l’Histoire à travers une
histoire. Bien pratique en effet le principe des générations pour remonter le
temps et comprendre comment l’Histoire s’incruste dans le quotidien et
influence irrémédiablement les relations entre les êtres ; pour comprendre
comment, en une cinquantaine d’années, on passe d’un grand-père italien
fasciste et fier de l’être à un petit-fils espagnol – tiens-donc, c’est lui le
narrateur – que son grand-père oblige à revêtir l’uniforme des Brigades
italiennes pour assister chaque année à la commémoration en hommage aux volontaires
italiens morts pour une Espagne « Une, Grande et Libre » !
Mais,
sous sa facture classique, ce roman est riche en défis. Tout d’abord, celui de
parler de l’Histoire tout en s’arrangeant pour qu’elle ne forme finalement que
l’arrière-plan. Ensuite, raconter l’histoire d’un homme fort peu sympathique
car manipulateur et sans doute lâche, et s’arranger pour que le lecteur lui
trouve des circonstances atténuantes. Enfin, celui de parier sur la tendresse
de l’écriture pour dire les choses telles qu’elles sont : horribles,
tragiques, inhumaines.
Il
n’y a pas d’effet de style. Le récit avance, comme le temps. Et c’est pour cela
que ce roman est bon parce qu’il renonce à l’esbroufe, qu’il mise sur la
simplicité qui est une forme de modestie, et que les personnages dont il
dresse le portrait, bien qu’en soi d’une grande banalité (combien de familles
espagnoles – pour ne citer qu’elles – n’ont pas leurs petits secrets ?) sont
vrais parce qu’ils sont plus invraisemblables que la vie elle-même. Comme si
Martínez de Pisón renversait la formule stendhalienne : le miroir qu’il
utilise est un miroir déformant car, lorsque les secrets sont révélés, le choc
même de la révélation les fait paraître beaucoup plus monstrueux.
Traduit
de l’espagnol par Gabriel Iaculli, Le Serpent à plumes, 2010, 416 pages.
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