samedi 10 mars 2012

Un livre : La conquête du courage (Stephen Crane)

Stephen CRANE
(1871-1900)



La Conquête du courage
(The Red Badge of Courage)
Voilà un livre étrange car mettre l'instrospection au sein de scènes de bataille est le pari qui sous-tend le roman. Par ailleurs, le jeune Henry Fleming, le héros, n'est désigné la plupart du temps que par "l'adolescent", "le garçon" ou tout simplement "il", comme s'il n'était que le symbole de toute une génération de jeunes gens, ravagés par le désir de gloriole. Au début, en effet, il ne s'agit que de cela, de vanité et de virilité qui se cherchent.
Le roman s'ouvre sur un long moment d'attente de la bataille qui permet au jeune héros de l'anticiper, de la vivre avant l'heure, de l'imaginer. Il est devant une grande inconnue, mais il sait - ou plutôt il a l'intuition - que la bataille est un monstre qui se gorge de sang. Son esprit examine alors dans ses plus intimes recoins la peur d'avoir peur, la peur aussi de ne pas correspondre à l'image qu'il se fait de lui-même.
Enfin arrivent les premiers combats. Mais le rythme du récit ne suit pas le rythme de l'action, et le lecteur comme le héros sont en décalage permanent avec la réalité qui se déroule autour d'eux. Henry vit son premier assaut, la panique, la fuite éperdue, la mort de ses compagnons, la vue des premiers cadavres - bref, l'horreur de la guerre - comme une chose à laquelle il est étranger tout en sachant que ce n'est pas vrai. Il voit le monde qui l'entoure comme une sorte de poème épique qu'il serait en train de lire plus que de vivre : "le soleil rouge était collé au ciel comme une hostie". Pour le lecteur, c'est un moment splendide car les rôles sont inversés : il est dans la bataille alors que le héros semble la contempler. Puis il y a la honte, suivie d'un autre décalage, celui du pardon que le lecteur accorde immédiatement au jeune héros, mais que lui-même ne s'accordera qu'à la fin.

La deuxième partie répond au titre du roman car il s'agit pour Henry de conquérir ce courage qu'il réclame tant, mais surtout de comprendre que l'ivresse du combat et l'estime de soi proviennent de la même source, celle qui consiste à donner le meilleur de soi-même. Henry ne devient homme que lorsqu'il est parvenu à se pardonner son unique moment de lâcheté, à le "tenir à distance", à le mépriser sans se mépriser, à dissocier l'acte de la personne qui l'a commis. "Les cicatrices se fanent comme des fleurs", conclut Stephen Crane.

Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Dominique Aury, Sillage, 2006, 251 pages

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